Aigues Mortes et le protestantisme

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Aigues-Mortes, de Saint Louis à la Réforme, 500 ans d’Histoire

Paris Match ||Mis à jour le 

Port de commerce du Languedoc, né de la volonté du roi Saint Louis qui voulait un débouché pour son royaume sur la Méditerranée – c’est de là qu’il partira ensuite par deux fois en croisade – Aigues-Mortes impressionne par ses remparts jalonnés de de tours et l’ensemble de ses fortifications médiévales danS un l’état de conservation impeccable.
Entamés en 1240, les travaux de construction de la cité militaire s’achèveront au tournant du XIVe siècle sous Philippe IV le Bel. Il s’agit d’un témoignage unique de l’art de la poliorcétique à l’apogée du Moyen Age, des principes défensifs qui ont présidé à l’édification des défenses d’Aigues-Mortes et qui illustrent cet art de la guerre et son évolution.

Du chemin de ronde, on se contente désormais d’admirer le panorama spectaculaire, en particulier celui donnant sur les marais salants. Un paysage qui se teinte de rose à certaines heures de la journée, à découvrir depuis la tour de Constance. Pour le curieux, un voyage garanti dans un passé riche et glorieux.

Une histoire tumultueuse liée au protestantisme

Avant de devenir ce lieu de vacances prisé des touristes se rendant en Camargue, Aigues-Mortes a aussi connu une histoire tumultueuse liée à la présence protestante dans la ville. Dans un Midi très largement gagné aux idées de Luther et Calvin, elle devient une place forte où les réformés peuvent se retrancher et exercer librement leur culte.

Mais, après la révocation de l’Edit de Nantes sous Louis XIV en 1685 qui met fin à la tolérance du protestantisme dans un royaume majoritairement catholique, la ville devient le siège d’une prison à la sinistre réputation pour ceux qui ont refusé de ses soumettre et d’abjurer.

Les pierres de la tour de Constance, de la porte de la Reine, de la tour de Villeneuve portent toujours les marques et les témoignages du passage de ces captifs. Enfermés à cause de leur foi, de nombreux prisonniers ont gravé leur nom dans la pierre, permettant aux archéologues de retracer leurs destins. Le graffiti «REGISTER» est attribué à Marie Durand, figure du protestantisme cévenol emprisonnée à Aigues-Mortes durant 38 ans au XVIIIe siècle. Il est le témoignage le plus éloquent de cet aspect sombre mais passionnant de l’histoire des remparts et de la tour d’Aigues-Mortes.

Aigues Mortes une cité mal fortifiée?

Aujourd’hui, Aigues-Mortes est une petite ville. Vous avez peut-être besoin d’un peu d’aide pour la situer. Nous sommes entre le Languedoc et la Provence. Le séparateur entre les deux régions s’appelle le Rhône qui se jette dans la mer Méditerranée. L’estuaire forme un delta dans lequel se niche Aigues-Mortes.
Parfois, on explique qu’autrefois la mer venait lécher les murs d’Aigues-Mortes. Ce n’est pas vrai. Voici la situation d’Aigues-Mortes au temps de sa fondation, c’est-à-dire au XIIIe siècle. On se rend compte que la ville se trouve en retrait de la mer. Des cordons de sable ont enfermé des étendues d’eau salée, formant des lagunes. Aigues-Mortes se trouve au fond d’un de ces étangs. Par des canaux, la ville a néanmoins accès à la mer. Le port est ainsi protégé des tempêtes de la Méditerranée.

Après la géographie, parlons histoire. Vers 1240, saint Louis a un problème : il ne possède aucun grand port sur la Méditerranée. Les principales villes littorales ne lui appartiennent pas. Pire certaines comme Montpellier appartiennent à ses ennemis comme le roi d’Aragon. Or, la Méditerranée est une mer de plus en plus fréquentée par des marchands de toutes nationalités. Sur l’eau, transitent des marchandises très précieuses. Des marchandises peu encombrantes mais vendues très chères. Je veux parler des épices comme le poivre ou le gingembre. Mais aussi de la soie venue de Chine. Saint Louis aimerait capter ce juteux trafic, sans passer par des intermédiaires. Plus généralement, il souhaite faire de son royaume, jusque là tournée vers la Manche ou l’Atlantique, une puissance méditerranéenne. Saint Louis a des rêves d’Orient. La Croisade l’obsède. Posséder un port lui serait utile pour embarquer lui et ses troupes

Ainsi naît sur un site jusque là désert Aigues-Mortes dans les années 1240. Un port est aménagé, sur lequel s’adosse une ville. Dans l’angle nord-ouest, un château connu sous le nom de Tour de Constance, est construit à grands frais. Mieux qu’un château, saint Louis veut une enceinte autour de sa fondation. Déjà pour une raison banale : défendre les habitants et les marchands contre des attaques ennemies (par exemple le roi d’Aragon dont j’ai parlé tout à l’heure). Autre raison moins banale : empêcher le sable côtier d’encombrer peu à peu les rues sous l’effet du vent. Le rempart doit donc résister aussi bien aux hommes qu’aux forces de la nature.

Pour financer la construction de ce grand chantier, saint Louis instaure une taxe sur toutes les marchandises débarquées. Les travaux n’ont pas commencé quand il embarque pour la croisade en 1270. Vous connaissez peut-être la suite de l’histoire : le roi de France ne revient pas ; il meurt en 1270 sous les murs de Tunis. C’est donc son fils Philippe III le Hardi puis son petit-fils Philippe IV le Bel qui achève l’enceinte. Là voici dessinée, c’est ce quadrilatère noir. Il fait 1640 m de long. Si on reste dans les chiffres, la muraille est épaisse de 3 m et s’élève à 11 m. Surtout, des portes percent la muraille. J’en viens enfin à la question de Gabin. Généralement, une ville moyenne a 4 portes implantées selon les points cardinaux. Aigues-Mortes présente 10 portes. Il y en a notamment 5 sur le flanc sud. Les autres côtés sont pourvus plus normalement : 1 à 2.

Un tel nombre d’ouvertures semble incompatible avec le souci de défense. 10 portes ce sont 10 points faibles. Même si, comme vous pouvez le voir, ce sont de forts ouvrages de pierre. Quelle explication donner à cette contradiction ? Tout simplement, les rois de France n’ont pas voulu entraver la principale fonction d’Aigues-Mortes : le commerce. Si autant de portes se situent sur le rempart sud, c’est pour faciliter le transfert des marchandises entre le port et la ville. Une seule porte aurait créé un engorgement.

Lors de sa visite, un autre aspect des remparts interrogea Gabin. Pourquoi des portes sont-elles petites et d’autres grandes ? Je lui réponds que les grandes portes ouvrent sur les rues principales de la ville tandis que les petites portes donnent sur des rues secondaires.

Au final, les Capétiens investirent beaucoup d’argent dans ce site pour un résultat décevant. En effet, dès les travaux de saint Louis, le port commençait à s’ensabler. Les bateaux, les galères,  n’avaient plus assez de fonds pour s’approcher du rivage. Parallèlement, les rois de France acquirent d’autres sites plus commodes sur la côte méditerranéenne, délaissant la fondation de Louis. D’une certaine manière, ce déclin fait notre chance aujourd’hui. Aigues-Mortes, tout du moins ses remparts, sont presque restés les mêmes depuis le XIIIe siècle.